La domination masculine by Pierre Bourdieu

La domination masculine by Pierre Bourdieu

Auteur:Pierre Bourdieu [Bourdieu, Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Sociologie
ISBN: 9782021069273
Google: ZJc_DAAAQBAJ
Éditeur: Le Seuil
Publié: 2016-05-25T22:00:00+00:00


L’être féminin comme être-perçu

Tout, dans la genèse de l’habitus féminin et dans les conditions sociales de son actualisation, concourt à faire de l’expérience féminine du corps la limite de l’expérience universelle du corps-pour-autrui, sans cesse exposé à l’objectivation opérée par le regard et le discours des autres. Le rapport au corps propre ne se réduit pas à une « image du corps », c’est-à-dire à la représentation subjective (self-image ou looking-glass self), associée à un degré déterminé de self-esteem, qu’un agent a de ses effets sociaux (de sa séduction, de son charme, etc.) et qui se constitue pour l’essentiel à partir de la représentation objective du corps, feed-back descriptif et normatif renvoyé par les autres (parents, pairs, etc.). Pareil modèle oublie que toute la structure sociale est présente au cœur de l’interaction, sous la forme des schèmes de perception et d’appréciation inscrits dans le corps des agents en interaction. Ces schèmes dans lesquels un groupe dépose ses structures fondamentales (comme grand/petit, fort/faible, gros/fin, etc.) s’interposent dès l’origine entre tout agent et son corps parce que les réactions ou les représentations que son corps suscite chez les autres et sa perception propre de ces réactions sont elles-mêmes construites selon ces schèmes : une réaction produite à partir des oppositions grand/petit et masculin/féminin (comme tous les jugements du type, « elle est trop grande pour une fille » ou « c’est embêtant pour une fille », ou « pour un garçon ce n’est pas grave », variante du dicton kabyle : « Il n’y a jamais de tare pour un homme ») est une occasion d’acquérir les schèmes concernés qui, retournés par le sujet lui-même sur son propre corps, produiront la même réaction, et d’éprouver l’expérience pratique du corps propre qu’ils procurent.

Ainsi, le corps perçu est doublement déterminé socialement. D’une part, il est, jusque dans ce qu’il a de plus naturel en apparence (son volume, sa taille, son poids, sa musculature, etc.), un produit social qui dépend de ses conditions sociales de production à travers diverses médiations, telles que les conditions de travail (avec notamment les déformations, les maladies professionnelles qui en dépendent) et les habitudes alimentaires. L’hexis corporelle, où entrent à la fois la conformation proprement physique du corps (le « physique ») et la manière de le porter, la tenue, le maintien, est censée exprimer l’« être profond », la « nature » de la « personne » dans sa vérité, selon le postulat de la correspondance entre le « physique » et le « moral » qui engendre la connaissance pratique ou rationalisée permettant d’associer des propriétés « psychologiques » et « morales » à des indices corporels ou physiognomoniques (un corps mince et svelte tendant par exemple à être perçu comme le signe d’une maîtrise virile des appétits corporels). Mais ce langage de la nature, qui est censé trahir le plus caché et le plus vrai à la fois, est en fait un langage de l’identité sociale, ainsi naturalisée, sous la forme par exemple de la « vulgarité » ou de la « distinction » dite naturelle.



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